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Les Chinois, incapables de penser librement ?

Otto Kölbl

Les médias occidentaux ont beaucoup de peine à prendre les Chinois au sérieux, surtout dans le domaine politique. Ils les présentent généralement comme n'étant intéressés que par leur famille et l'argent, comme ne se préoccupant guère de politique. Or, selon une étude mentionnée dans le World Development Report 2007 de la Banque Mondiale, les Chinois sont dans tous les groupes d'âge parmi ceux qui s'intéressent le plus à la politique. Comment cette discrépance entre l'image dessinée par nos médias et une étude sérieuse peut-elle être expliquée ? Et cet intérêt pour la politique peut-il mener en Chine à une bonne connaissance dans ce domaine, ou est-il condamné à se heurter à un black-out des informations imposé par le régime communiste en place ?

Un collégien chinois se prépare pour un concours de robotique. Photo: Otto Kölbl, Xi'an, 2005.

Un collégien chinois se prépare pour un concours de robotique. On fait bien d'autres choses dans les écoles chinoises que seulement apprendre par cœur. Photo: Otto Kölbl, Xi'an, 2005.

La question est capitale. En 2008, l'immense majorité des Chinois étaient furieux contre les médias occidentaux à cause de leur couverture des Jeux Olympiques de Beijing et de la Chine en général. Même des personnes extrêmement critiques envers le régime communiste tentaient (en vain) d'expliquer à nos journalistes et reporters pourquoi ils ne reconnaissaient pas leur pays dans l'image que nos médias en dessinaient. Dans les projets de recherche menés dans des universités occidentales sur le sujet qui ont été publiés récemment, aucun Chinois n'a été interrogé sur ses griefs envers nos médias.

Ceci ne fait qu'illustrer à un autre niveau un problème déjà apparent en 2008 : nos journalistes et reporters avaient alors bien de la peine à prendre les "Chinois ordinaires" au sérieux. Au lieu de cela, on cite presque exclusivement des sources officielles (qu'on s'empresse de dénigrer comme "propagande communiste") et des dissidents, seule source digne de confiance dans les yeux de nos médias. Le soutien dont ces dissidents jouissent dans la population n'est pas considéré comme ayant la moindre importance.

Personnellement, je trouve cette attitude déplorable. J'ai eu des discussions extrêmement intéressantes avec beaucoup de Chinois, y compris sur des sujets comme la politique ou le communisme. Pour cela, il suffit d'une chose : il faut être prêt à remettre en question ses propres convictions sur la Chine et à les confronter à celles de personnes qui regardent le monde avec une autre perspective. Il semblerait que cette faculté fasse cruellement défaut à nos journalistes…

Il y a beaucoup de domaines où j'ai dû me rendre compte que bien des Chinois n'ont pas seulement une autre manière de voir les choses, mais ont bien des fois objectivement raison dans leur critique de la position généralement défendue par nos médias, si l'on s'appuie sur des sources scientifiques occidentales ou des organisations internationales dignes de confiance, notamment concernant Falungong, les droits de l'homme, le Tibet, les Guerres de l'opium et bien d'autres. Comment les Chinois s'informent-ils ?

Leur première source d'informations est simplement leur entourage immédiat. Ils ont tendance à garder le contact avec des membres de leur famille éloignée ainsi que leurs anciens camarades de classe et collègues de bureau bien plus longtemps que les Occidentaux. Ils nouent aussi bien plus facilement des contacts avec des personnes qu'ils croisent au hasard d'une rencontre.

Beaucoup de personnes tendent à sous-estimer la valeur des informations ainsi récoltées. Pour y accéder dans une conversation ou une interview, il suffit de leur poser des questions sur leur entourage immédiat. Dans un pays où les médias sont encore passablement contrôlés par le gouvernement, cette méthode a l'avantage d'éliminer en grande partie l'influence de la position du gouvernement.

Dans un pays où l'émigration a une longue tradition comme la Chine, ce réseau de contact permet aussi souvent l'accès direct ou indirect à des informations en provenance de l'étranger, même si les médias étrangers ne sont pas directement accessibles.

Il ne faut pas non plus sous-estimer les médias chinois comme source d'information. Les Chinois ont appris à lire entre les lignes et à décoder les informations données souvent de manière indirecte. Ainsi, sous Mao Zedong, la manière dont des personnages politiques étaient mentionnés ou placés sur des photos permettait d'obtenir bien des informations sur les luttes de pouvoir internes au parti communiste.

Ces derniers temps. bien des médias ont été privatisés ou du moins soumis partiellement aux lois du marché. A priori, ceci n'est pas forcément un gage d'information objective; le critère de ce que le gouvernement veut que le journal écrive a été remplacé par l'impératif de ce que les lecteurs ont envie de lire et par la défense des intérêts des journalistes. L'exemple des médias occidentaux montre bien que des médias "libres et soumis aux forces du marché" peuvent s'engager dans des dérives graves.

Cependant, comme les lecteurs chinois sont très friands d'enquêtes critiques envers le gouvernement et l'administration et de nouveaux points de vue sur les événements du monde, cette évolution a sans doute contribué à mettre un plus large éventail d'informations à disposition de la population.

Plus récemment, l'Internet est devenu une importante source d'informations. En particulier en anglais et dans d'autres langues étrangères, presque tous les sites des médias occidentaux (p.ex. CNN, Al Jazeera, Le Monde, Libération, Le Temps etc.) sont accessibles pratiquement sans restrictions en Chine, à part quelques exceptions comme par exemple la BBC, probablement à cause de différents avec le gouvernement chinois.

Les sites web des organisations internationales (ONU, Banque Mondiale, etc.) et des universités partout dans le monde sont également accessibles. Ceci permet de télécharger tous les rapports de recherche, articles et études qu'on trouve de plus en plus sur ces sites.

Tous les sites occidentaux gérés par des organisations "pro-Tibet" ou de "défense des droits de l'homme" sont par contre bloqués, ainsi que la plupart des sites de médias étrangers en langue chinoise. Par contre il y a des logiciels et des sites web occidentaux qui permettent de contourner ce blocage, ainsi que la possibilité de se faire envoyer des fichiers compressés depuis l'étranger, si on y a des connaissances.

Le gouvernement chinois fait également des efforts ciblés pour améliorer le niveau de connaissance des étudiants sur les régimes politiques démocratiques et pour leur donner une expérience concrète de la démocratie durant leur scolarité et de leurs études (voir les articles sur rainbowbuilders sur le programme Model-UN, les manuels d'enseignement des langues étrangères, les enseignants étrangers et les élections dans le système scolaire).

Contrairement à ce à quoi on pourrait s'attendre après les mouvements de protestation estudiantins de 1989 sur la place Tiananmen et ailleurs en Chine, le gouvernement chinois a donc l'air de miser sur une limitation de l'accès aux informations internationales par les personnes qui ne parlent que le chinois, et au contraire de pousser les étudiants à s'intéresser au monde extérieur, y compris politique. Nous sommes bien à des années-lumière de l'image que nous dessinent nos médias…

Le résultat de tout ce qui a été évoqué ci-dessus est que j'ai pu mener des discussions très intéressantes sur le monde, son développement, la politique et la Chine avec bien des Chinois. En particulier, un certain nombre d'étudiants que j'ai croisé aussi bien en Chine qu'en Suisse m'ont beaucoup aidé à améliorer ma compréhension de ce pays fascinant et du regard que ses habitants jettent sur nous et d'autres régions du monde.
Je connais de nombreuses autres personnes qui ont pu avoir de tels contacts enrichissants, mais parfois, j'ai dû assister à un échec total de la communication. En particulier, les journalistes qui ont fait des études de sinologie ou ont autrement acquis de solides connaissances sur la Chine semblent avoir beaucoup de peine à établir une relation de confiance avec des Chinois et à réellement bénéficier des informations obtenues, alors que des personnes qui se retrouvent catapultés dans le pays sans préparation semblent avoir l'esprit bien plus ouvert.

Pour surmonter ces blocages, il semblerait que ce sont les Chinois qui doivent apprendre à parler à nos reporters et journalistes, puisque ces derniers ne parviennent pas à surmonter les différences culturelles, malgré leur formation qui aurait dû leur permettre d'acquérir les facultés nécessaires. Peut-être est-ce d'ailleurs justement l'accent mis sur les "différences culturelles" qui élève ces barrières, dont ne s'encombrent pas les personnes parachutées sans préparation…

Ce site web ne se veut donc pas juste une critique (constructive) de nos médias, il souhaite aussi fournir des tuyaux pour abattre les murs qui séparent bien trop souvent la communication, pas seulement entre la Chine et l'Occident, mais aussi entre bien d'autres cultures.

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