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Cuba et les droits de l'homme

Otto Kölbl

Depuis l'arrivée au pouvoir de Fidel Castro en 1959, Cuba a régulièrement fait la une des médias pour ses violations des droits de l'homme. La dernière campagne a été déclenchée par le "printemps noir" de 2003, où plus de 70 activistes (journalistes et défenseurs des droits de l'homme) ont été condamnés à de longues peines de prison. Cependant, rares sont les mentions du bilan de Cuba dans le domaine des droits économiques, sociaux et culturels. Selon toutes les sources, le pays a entre autres une mortalité infantile plus basse que les USA, malgré un niveau de vie beaucoup plus bas. Même la CIA doit concéder cela dans son World Factbook.

Il est évident que nos médias se préoccupent bien peu de la survie des bébés dans le monde. Cependant, une telle prouesse devrait au moins leur valoir une petite mention. Par rapport à son niveau de vie, Cuba réussit à sauver la vie de plus de 1700 bébés chaque année par rapport à un effort moyen, et même encore plus de 950 bébés par rapport à un pays avec le même niveau de vie qui fournirait un effort soutenu et constant dans ce domaine.

Il est légitime de critiquer un pays qui viole les droits de l'homme; tout ce concept est basé sur le fait que ces droits ne sont pas seulement une affaire interne à chaque pays, mais concernent toute la communauté internationale. Cependant, toute critique d'un pays extra-européen doit être basée exclusivement sur la conception des droits de l'homme sur laquelle la communauté internationale s'est mise d'accord dans le cadre de l'ONU, et celle-ci inclut explicitement le droit à l'accès aux soins médicaux, quelle que soit la fortune des personnes concernées. Elle mentionne également la responsabilité qu'ont les gouvernements de prendre les mesures nécessaires pour réduire la mortalité infantile.

Si l'on considère la mortalité infantile par rapport au niveau de vie des différents pays, Cuba occupe le premier rang au niveau mondial. En parlant des droits de l'homme dans ce pays, il faudrait au moins le mentionner. Au lieu de cela, certains médias occidentaux, pourtant réputés sérieux, recourent à la propagande mensongère. J'ai vu un reportage consacré à Cuba sur BBC World à l'occasion du 50ème anniversaire de la révolution cubaine, le 1er janvier 2009. Ils parlaient d'un "système de santé délabré, mais qui arrive à offrir les soins de base à la population".

N'ayant pas réussi à enregistrer l'émission, j'ai demandé à la BBC de me retrouver ce passage dans leurs archives, en précisant bien que je travaillais pour l'Université de Lausanne et que j'étais prêt à payer pour ces enregistrements. La BBC a refusé. Pourtant, je sais qu'ils ont un service d'archives à la pointe de la technologie, avec un système de transcription automatique de tout ce qui se dit sur leurs chaines, élaboré par un institut de recherche suisse. Est-ce qu'ils ont quelque chose à cacher? Ou quelles raisons ont-ils pour refuser d'envoyer des extraits à la demande contre rémunération à une université pour faire de la recherche? Il est évident que ceci rend impossible toute recherche scientifique sur la manière dont la BBC informe (ou désinforme…) ses auditeurs sur le monde.

Si nos médias ne se préoccupaient ne soit-ce qu'un tout petit peu du sort des bébés qui naissent dans le monde, ils enverraient des équipes pour enquêter sur la manière dont Cuba, le Vietnam, l'Erythrée, la Moldavie, le Portugal et la Serbie réussissent à offrir aux bébés qui naissent sur leur sol des chances de survie exceptionnelles comparé à leur niveau de vie.

Au lieu de cela, ils se déchaînent pendant des années contre Cuba parce que ce régime a mis en prison quelques dizaines de journalistes et opposants politiques. Parfois j'ai envie de hurler très fort : "Rien à f… si quelques dizaines de journalistes arrogants et hommes politiques égocentriques passent quelque temps en prison, si cela permet à ce régime de continuer à sauver la vie de plus de 1000 bébés chaque année."

Pourtant, quand cette envie me prend, j'essaie de me calmer et de rester politiquement correct. Je ne souhaite à personne de finir en prison, et si j'essaie d'attirer l'attention sur les droits de l'homme économiques, sociaux et culturels, je n'en oublie pas pour autant les droits civils et politiques.

Cependant, une réflexion sérieuse sur la relation entre ces deux groupes de droits s'impose. Comment se fait-il que certains des pays considérés comme les "pires violeurs" des droits civils et politiques offrent les meilleures chances de survie à leurs bébés, alors que les pays qui mettent l'accent sur une idéologie libérale se retrouvent presque systématiquement en queue de peloton dans le domaine de l'accès aux soins médicaux?

En particulier, il faut se demander si un écroulement du régime communiste cubain ne coûterait pas forcément la vie à des milliers de bébés innocents, comme c'était souvent (mais pas toujours) le cas quand un régime autoritaire mettant l'accent sur le progrès social a disparu. Cependant, cette réflexion est totalement absente de nos médias, qui persistent à nous présenter les seuls droits civils et politiques comme la panacée universelle.

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